Nouvelle journée, nouvelle aventure

- PUTAIN MAIS TA GUEULE !

Ce qui ressemble à un pot de fer sort soudainement d'une fenêtre en direction d'un enclos. Il s'écrase bruyamment contre ce dernier et cause un vacarme venant des gallinacés y habitant encore plus grand. Un râle s'échappe de la petite demeure dans laquelle la voix énervée de femme venait de sortir sous les regards ahuris des passants de bonne heure. De toute évidence elle avait été fortement importunée par le cri matinal du coq d'à côté et avait décidé de s'en venger à l'aide d'un... Pot ?

Elle se lève pour de bon cette fois-ci. Le Soleil commence aussi à bien se pointer, il ne sert plus à rien de luter contre le destin quand ce dernier a décidé de se foutre de vous. Aussi, elle s'arrêta vers la fenêtre et jeta un regard noir aux poules et au coq dans leur enclos, créant un silence aussi gênant que non naturel.

Elle frotta pensivement son épaule endolorie. Voilà peu de temps qu'elle avait réglé le souci de déblayage pour lequel on l'avait employée. Un peu plus d'une semaine à vrai dire et si son métabolisme la remettait sur pieds bien plus rapidement que d'autres, ses muscles criblés de courbatures lui faisaient encore un mal de chien.

Elle s'habilla rapidement de braies, d'une chemise qui restait et s'en alla courir un peu. Elle devait réveiller tout son corps si elle voulait assumer sa journée d'aujourd'hui. Elle devait retourner dans le donjon.

Pourtant, ce n'était pas passé loin cette fois et si elle était clairement déterminée elle n'était pas non plus suicidaire. Cette fois elle devrait sûrement faire équipe avec quelqu'un. Cette simple idée lui arracha une expression de dégoût. Elle n'aimait pas se retrouver à plusieurs dans le donjon. Le lieu se jouait beaucoup trop facilement des aventuriers y entrant et être avec quelqu'un d'autre ou un groupe tout entier voulait dire aussi assurer leurs arrières. Non seulement Croisade ne faisait pas confiance aux autres pour protéger les siens mais elle ne voulait pas de la dite responsabilité non plus. Elle poussa un peu plus son effort que la sagesse n'aurait recommandé mais voilà, la jeune femme était loin d'être sage.
Elle ne s'arrêta pour souffler qu'à mi-chemin, se désaltérant à une fontaine.

Les passants qu'elle croisa lui faisaient des signes de la tête, lui lançaient parfois des bonjour auxquels elle répondait d'un geste de la main et d'un sourire. Certes, Croisade avait mauvais caractère mais elle n'était pas si mal vue dans le quartier. A vrai dire, les femmes surtout étaient partagées à son sujet, certaines pensaient qu'elle tentait de leur voler leurs maris à la taverne, d'autres pensaient qu'elle était une mauvaise influence sur eux. Enfin, pour d'autres ainsi que pour la majorité des hommes, elle avait atteint un statut honorifique de "mâle", peu dans le coins osaient lui chercher des ennuis. Quelques hommes s'étaient pourtant bien tentés d'une main au postérieur.

Ils étaient revenus chez eux avec des membres brisés.

Depuis, plus personne n'essayait de trouver son chemin à travers les jambes de la jeune femme. Ainsi, une forme d'étrange confiance s'était liée entre les habitants et la jeune femme. Elle leur racontait des histoires de ses aventures dans le donjon le soir et offrait une forme de sureté dans le quartier. La criminalité avait fortement baissée à mesure qu'elle se faisait un nom, de plus, certains anciens la connaissait depuis son plus jeune âge et gardaient sur elle un regard à demi amusé, à demi attristé du sort qu'elle avait dû subir jeune.

Elle rentra enfin chez elle après une bonne heure de course, alla prendre sa part d'eau au puit local et en utilisa une partie pour se rafraichir. Elle admira pendant quelques secondes les cicatrices qui marquaient son corps. Parfois, elle avait vraiment le sentiment qu'elle devrait être morte depuis bien plus longtemps que ça. Enfin, elle avala un bon petit déjeuner composé d'oeufs, de pain et d'un pot de confiture que lui avait donné l'une des petites vieilles qu'elle avait aidé un jour à monter une de ses cargaisons.

Elle se revêtit de son armure, prit sa zweihänder qu'elle laissait toujours sous son lit (on est jamais assez prudent) et s'en alla nonchalamment. Elle croisa quelques personnes sur le chemin qui lui souhaitaient bonne chance. D'autres qui lui disaient être pressés d'entendre ses nouvelles aventures. Enfin elle tourna à un coin de rue;

- C'EST AUJOURD'HUI QUE TU TOMBES CROISAAAAAAAAADE !

Une forme sombre se jeta sur la jeune femme, épée en bois à la main elle s'apprêtait à asséner un grand coup à la guerrière.
Soudainement, elle lui attrapa le bras, fit pivoter la créature et l'envoya valser contre un tas de foin. Elle s'en approcha quelques secondes plus tard, un sourire narquois au visage et retira une partie de la paille d'un mouvement de bras, révélant un jeune garçon d'environ sept ans, légèrement sonné.

- T'es né mille ans trop tard pour espérer m'avoir gamin, ton estoc est pourri hein.

Il se redressa d'un coup, lui tira la langue et lui jeta qu'un jour il serait assez fort pour pouvoir la battre. Elle n'y répondit pas, souriant simplement doucement. Un jour peut être oui, mais elle ne lui souhaitait pas pour autant d'arpenter le donjon.

Elle soupira et se remit en marche. Enfin, après une bonne demi-heure elle arriva vers le donjon. Se frayant un chemin à travers les badauds, marchants et autres aventuriers à l'aide de regards noirs avant d'arriver enfin au panneau de quête. Devant s'y trouvait un homme d'un âge que Croisade n'aurait vraiment pu déterminer. La peau matte, de longs cheveux blonds, un air désinvolte et surtout deux grosses cornes. Un demi-dragon ? Bah, elle n'en savait trop rien et elle n'en avait pas la moindre foutue idée. C'était le problème avec les autres races, on ne sait jamais quel âge ils ont et d'un coup on insulte une princesse elfe parce qu'on pense qu'elle à vingt ans quand elle en a en réalité deux-cent cinquante. Elle grimaça doucement avant de reporter ses yeux vers le tableau. Quelques quêtes attiraient son intérêt mais... Mais elle devait se trouver un groupe. Si Croisade était parfois d'une très mauvaise volonté elle n'était pas stupide non plus. Elle ne mettrait pas à feu et à sang ce foutu donjon sans aide finalement quand bien même cela lui arrachait les gencives de le reconnaître.

Elle tourna la tête vers le cornu et sembla le jauger un instant d'un regard avant de soupirer.

- Hey, tu cherches quoi comme quête ? Demanda-t-elle à l'homme sur le côté d'un air peu réjoui.

Voilà qui s'annonçait de bon augure.

Bon. Au moins il était amical, c'était déjà ça. Elle avait l'habitude de créer un effet de choc parmi les aventuriers maintenant qu'elle commençait à se faire un nom. Après tout quand on est la cinglée qui se trimbale avec une épée aussi grande que soit même ou presque, avec un équipement dépareillé au possible et avec la singulière habitude de revenir de chaque mission seule et ensanglantée il paraît qu'il est normal que les gens finissent par vous prendre pour une folle.

Tsch, bande de tapettes.

Elle s'approcha un peu de l'homme pour mieux regarder les affiches qu'il tenait, faisant crisser les parties anciennes de son armure dans un son qui donnerait des frissons à tout forgeron digne de ce nom. Croisade les lui prit des mains pour mieux les lire. Sans s'en rendre compte (à moins qu'elle ne s'en fiche éperdument) elle se trouvait à présent très proche de son interlocuteur, bien plus que toute convention sociale de respect de la sphère privée des êtres vivants n'aurait autorisé en temps normal.

Comme l'avait dit l'homme, la numéro 2 s'avérait être plus facile, une bonne récompense, rien de bien dangereux en somme pour quelque d'aguerri et une source de revenu sûre. La troisième semblait pouvoir être réalisée seule. L'espace d'un court instant la guerrière se demanda si elle n'allait pas juste s'en aller avec le papier en question, ne pas demander son avis au type à ses côtés et aller la faire seule. Cependant, les évènements de ces dernières quêtes l'avaient forcée à une méfiance qu'elle n'aimait pas. Non, ce serait suicidaire. Les héros ont tous de superbes légendes mais ils ont aussi le même point commun.

Ils sont tous morts.

Au final elle souhaitait abattre ce donjon, le détruire, le faire tomber, elle voulait enfin pouvoir cracher sur les pierres de ce zoo à monstres. Croisade regarda autour d'elle un moment, détachant ses yeux de l'affiche. Tout autour d'eux des gens venaient des quatre coins de ce monde. Tous avaient leur propre raison de venir arpenter le donjon mais pour beaucoup d'entre eux cette raison ne s'avérait n'être que financière.

La guerrière senti son sang ne faire qu'un tour, elle cracha au sol pour évacuer sa frustration. Elle détestait ces aventuriers.

Retournant son regard vers le jeune homme elle dit d'un ton plat;

- J'serai plus partante pour la trois étoiles. En dessous ça servirait à rien j'le laisse au menu fretin. On fait cinquante-cinquante sur les récompenses et on s'arrange avec le butin qui nous plaît le plus, les trucs habituels quoi. Au fait moi c'est Croisade, c'quoi ton nom ?

Elle lui tendait à présent la main, elle déniait sourire légèrement, une tentative de socialisation avec un étranger, il n'avait pas l'air d'être un mauvais bougre. Enfin, moins mauvais que d'autres aux alentours. De toute façon elle se fichait pas mal des gens avec qui elle se retrouvait à faire équipe, tant qu'ils sont un minimum efficace bien évidemment.

- C'est quoi qui t'emmènes à venir arpenter cet enfer au juste ?

Et tant qu'à faire, elle voulait bien s'assurer aussi des raisons de cet homme.